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APRES LE DEBAT DU 26 JUIN SUR FRANCE-CULTURE

 

Le 26 Juin, France-Culture a diffusé dans le cadre de l’émission Tout arrive, de Marc Voinchet, une discussion entre Dominique Labbé, Georges Forestier, moi-même et plusieurs intervenants de la chaîne. Cette émission est archivée sur le site de Radio-France à l’adresse http://www.radiofrance.fr/chaines/france-culture2/toutarrive/fiche.php?diffusion_id=14747

Au cours de cette discussion, j’ai avancé deux arguments que Dominique Labbé a aussitôt contestés.

Je les expose ici de façon plus commode pour la compréhension.

 

1. L’INFLUENCE DE LA VERSIFICATION

 

Je signale un tableau, p.15 du livre de Dominique Labbé, que je reproduis d’abord à l’identique. Il s’agit des valeurs de distance intertextuelle entre les plus célèbres des pièces de Molière.

 

 

Puis je cite un passage du commentaire que Dominique Labbé donne à ce tableau :

Au passage, ce tableau met à mal la légende selon laquelle vers et prose engendrent des différences considérables.

J’affirme que ce tableau met au contraire en évidence ces différences.

Pour cela, je propose, sans en modifier aucune donnée, d’éclairer les cellules du tableau en trois couleurs, selon que les deux textes comparés sont tous deux en vers (couleur bleue), tous deux en prose (en noir), l’un en vers et l’autre en prose (en rouge). Les pièces en vers sont signalées par un v en marge.

 

 

Calculons la moyenne des valeurs obtenues par D.Labbé sur chacune de ces trois classes de couplages :

 

 

Que dit cette expérience ? Elle ne prouve certes rien de définitif, sauf que Dominique Labbé n’a pas examiné attentivement ses propres données avant d’en tirer, lui, des conclusions définitives. Dans ce tableau, les distances Labbé entre textes versifiés et non-versifiés est notablement supérieure aux autres globalement (près de 3 points d’indice, ce qui est considérable si on garde en mémoire les intervalles de l’échelle de décision). Par ailleurs, les distances Labbé entre textes en vers sont encore inférieures à celles entre textes en prose. Il semble donc y avoir deux influences complémentaires en faveur des faibles distances entre textes en vers :

(1) les parentés lexicales liées au genre (ici, vers ou prose, qui correspondent c’est connu à des lexiques partiellement distincts)

(2) la plus faible variété lexicale liée aux contraintes des vers : les items employés en fin de vers étant contraints, ils présentent un taux de répétition constitutionnellement plus fort que les autres positions, réduisant la variété globale. Or, si le nombre de vocables de deux textes est consitutionnellement réduit, le nombre d’occurrences différentes d’un texte à l’autre (base de calcul de la distance Labbé) en sera réduit d’autant.

 

Qu’a répondu Dominique Labbé ? Que mon « attaque » était de mauvaise foi, puisque dans son tableau il n’y a pas de distinction entre prose et vers !

Comme si ce n’était pas précisément ce qui lui est reproché, ce qu’il était est reste facile à corriger, et ce que j’ai fait ! Il tire d’un tableau mal présenté une conclusion fausse qui sert fortement sa thèse, et il taxe de mauvaise foi celui qui remet les données en ordre et propose des conclusions opposées !

 

2. LES INTERJECTIONS

 

Un peu plus tard, je fais état de la constatation suivante, que j’ai faite sur les données mêmes fournies par Dominique Labbé.

Voici la distribution des principales interjections dans ce corpus, divisé en deux parties principales (Corneille et Molière), Molière étant divisé secondairement entre les pièces attribuées à Corneille par D.Labbé (Molière 1), et les autres (Molière 2). La longueur totale de chacune des parties et sous-parties est indiquée en première ligne.

 

 

On y voit clairement deux catégories d’interjections. La première est distribuée dans tout le corpus, avec une tendance au sur-emploi (que l’on vérifie éventuellement par des indices d’écart) par Molière, et chez Molière dans les pièces en prose (massivement dans Molière 2) pour eh et ah. Les deux seules occurrences de parbleu chez Corneille sont dans L’Illusion comique.

 

Une seconde catégorie ne se rencontre exclusivement que chez Molière. Toutes se rencontrent aussi bien dans les pièces contestées que dans les autres, même si là encore les pièces en prose les sur-emploient. Elles sont plus rares, plus spécifiques dans l’ensemble que les premières et sans doute plus caractéristiques d’une influence de la comédie italienne.

 

Cette observation élémentaire pour l’étude d’un corpus théâtral n’est pas mentionnée par Dominique Labbé. Quand je lui ai demandé son avis, il a fait appel à l’argument de la graphie. Or celui-ci ne pourrait éventuellement jouer que pour eh et . Je laisse apprécier les lecteurs si et eh ne se distinguent que par la graphie. Mais quoi qu’il en soit, cet argument est nul et non avenu dès lors que l’on constate que Molière emploie bel et bien eh.

Et surtout, que répondre aux cas de holà, morbleu, euh, fi, chut ? Il ne peut ici s’agir de hasard. Ce sont des marqueurs de genre certes, mais qui n’ont jamais été employés sous sa signature par Corneille.

 

S’il ne s’agit pas d’une preuve au secours de l’autorité de Molière, c’est en tout cas un élément du type même de ceux que Dominique Labbé aurait dû étudier et analyser AVANT de publier ses conclusions !

 

CONCLUSION

 

Sur les deux points de méthode et de technique que j’ai cherché à opposer à Dominique Labbé, celui-ci s’est dérobé. Il dira sans doute que les conditions du débat scientifique n’étaient pas remplies. Une fois de plus, c’est pourtant lui qui aura choisi la modalité de discussion. Et nous attendons toujours de savoir quand ces conditions seront réunies.