28 Février 2008

Patrick ANDERSON - De l’incomplétude ou de la perte de sens et de ces effets en didactique des langues.


Les difficultés à penser les ressorts de l’actualité que Lyotard appelait « postmodernisme » marque le trouble qui fait qu’il est devenu impossible de penser demain. Le présent dit Gérard Pommier « se propulse en consumant au fur et à mesure son propre héritage, il se déshérite au jour le jour », et il ajoute « l’horizon semble bétonné, et le futur piétine.» Dans ce monde énigmatique pour chacun d’entre nous, la perte de repères du sujet moderne semble bien être la caractéristique fondamentale. L’épuisement et la disparition des grands récits de légitimation tel que repéré par Lyotard nous plonge dans ce présent qui n’est plus supporté par un avenir prometteur. Jean Luc Nancy dans un article du Monde écrivait :

«  Le sens, n’est plus disponible, ni donné, ni constructible ou projetable, ni par déchiffrement ni par encodage du monde, ni par lutte ni par partage.– Le sens de l’homme, de l’histoire, de la culture – n’est plus en acte ni en puissance ».

La mort de Dieu annoncée par Nietzche se double aujourd’hui de la mort du sujet moderne qualifiée par Jean Pierre Lebrun de désarroi. Elle s’illustre par la déliaison symbolique qui tenait ensemble les trois instances : langage, politique et religion. Cet état de fait prolongeant la description du malaise qu’en a donné Arendt inscrit en tant que phénomène majeur la désymbolisation non pas dans le sens d’une disparition du symbolique mais dans le sens où il ne fonctionne plus comme avant. Nous serions entrés dans ce que Jean de Munck nomme un monde inconsistant, un monde qui tolère la contradiction. C’est ce monde qui selon l’expression d’Anders s’est transformé en machine. Nous l’entendrons dans le sens d’une inscription dans le libéralisme dans les termes de Jean Claude Michea c’est-à-dire caractérisé d’une part comme le principe actif des politiques gouvernementales mais également comme le principe actif des transformations civilisationnelles de l’Occident. Or on peut s’étonner que précisément parce qu’il touche au langage, et alors que la linguistique - dans la période où ses modèles étaient repris dans le champ des sciences humaines - était sensible au rapport qu’entretient la langue avec le social, on peut s’étonner que le phénomène de perte de sens soit une dimension remarquablement occultée de nos jours et particulièrement pour ce qui concerne le champ de la DLE. Tout se passe, en effet, comme si ce symptôme que le philosophe D.R. Dufour pointe comme véritable mutation anthropologique et mutation qui selon son expression relève de l’art de réduire les têtes ne concernait en rien l’enseignement/apprentissage des langues. Comme si la mort du sujet moderne n’avait tout compte fait aucune incidence, ni sur la façon de concevoir le langage, les langues et l’enseignement.