27 mars 2008

François MIGEOT
LASELDI (Université de Franche-Comté)
La mort du sujet moderne, acte II.
L’Europe et ses Cadres :
vers l’encadrement de l’énonciation et la mise en grille du sujet

 

L’intervention de Patrick Anderson du 28 février dernier au séminaire du LASELDI entrant en forte résonance avec la communication que j’ai moi-même faite au colloque de Cadix des 21 et 22 février 2008 (EXTERRITORIALITÉ, ÉNONCIATION, DISCOURS), il m’a paru opportun de modifier mon propre programme et de reprendre les grandes lignes de mes analyses qui illustrent, sur un plan plus concret, les conséquences de cet Art de réduire les têtes par les pratiques et moyens qu’il préconise pour être mis en œuvre.

Argument :
Ayant assigné à l’Union Européenne, en mars 2000, l’objectif stratégique pour 2010 « de devenir l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde », le Conseil Européen de Lisbonne tend donc à réduire la connaissance et son sujet à l’état de marchandise. On verra que la mobilité qui est préconisée, loin de prendre en compte le changement social, linguistique, culturel et individuel, tend au contraire à le neutraliser. Les cadres que promeut la Commission à travers ses Conseils et qu’elle met en place (Cadre Européen Commun pour les Langues, Cadre européen pour les compétences clés pour l’apprentissage tout au long de la vie, Cadre cohérent d’indicateurs et de critères de référence des progrès accomplis vers les objectifs de Lisbonne, cadre unique des diplômes européens —LMD— etc.) tendent à uniformiser un sujet redéfini par et pour le Marché. Et cela, à partir d’aptitudes et de compétences déclinées dans ces cadres et qui traversent toutes les activités humaines redéfinies, instrumentalisées et « référentialisées » en fonction de l’économie de marché.
Au sortir de ces Cadres, ce n’est donc pas l’altérité et la fécondité de la différence acceptée qu’on retrouve, mais c’est au contraire le Même, décliné par les mêmes répertoires de situation, les mêmes apprentissages des mêmes aptitudes et compétences, la même instrumentalisation des langues étrangères découpées dans les mêmes actes de parole, les mêmes diplômes, le tout confondu dans une même vision économiste du monde. Le seul déplacement, au moyen des Europass, sera spatial et cela dans un espace européen standardisé par les référentiels de tout poil et les savoir-faire et autres savoir-être pareil.

Références bibliographiques et sitographiques

— Austin J.L., Quand dire, c’est faire, Seuil, (trad.) 1970

— Authier-Revuz  J., Ces mots qui ne vont pas de soi, boucles reflexives et non coïncidence du dire, Larousse, 1995.

— Benveniste E., Problèmes de linguistique générale, Gallimard, 1966.

— Collectif Sauver les lettres (Gally M, Guichard F, Joste A) : http://www.education.gouv.fr/bo/2006/29/MENE0601554D.htm.

— Conseil de l’Europe, Cadre Européen Commun de Référence pour les langues (CECR), (Collectif), Didier, 2000.

— Commission Européenne (site web de la) : http://ec.europa.eu/index_fr.htm

— Commission Européenne (site web de la) : Direction générale de l’éducation et de la culture : http://ec.europa.eu/dgs/education_culture/index_fr.html

— Dufour D.-R., L’Art de réduire les têtes – Sur la nouvelle servitude de l’homme libéré à l’ère du capitalisme total, Denoël, 2003.

— Lacan J., Écrits, Seuil, 1996.

— Migeot F., Le Cadre européen commun de références pour les langues : Quel enseignement des langues pour l’Europe ? Langues pour le Marché, marché des langues. Site web de l’APED : http://www.ecoledemocratique.org/

— Milner J-C., les Noms indistincts, Seuil, 1983.

— Normand R., De l’accountability aux standards : la traduction européenne des politiques de la performance : paru dans  Van Haecht (dir.)« Education et formation : les enjeux politiques des rhétoriques internationales », Revue de l’Institut de Sociologie,  n° 2005/1-2, Université Libre de Bruxelles

— Searle J.R., Les Actes de langage, Hermann, (Trad.) 1972.

— Sfez L., Critique de la communication, Seuil, 1990.