Séminaire du pôle Discours, Dispositifs, Société

Séminaire du pôle Discours, Dispositifs, Société

Séminaire

12/09/2024

Séance du 12 septembre 2024
15h00
Bibliothèque Thomas Aron, UFR-SLHS

Séminaire du pôle Discours, Dispositifs, Société

Description

L’individuel et le collectif Regard sur Tôi (moi/je), marqueur d’identité et enjeu diplomatique en vietnamien

Cette première séance de l’année est consacrée à l’individuel et au collectif. Selon Sauquet et Vielajus (2014 : 157), la place de l’individu à l’égard du groupe, l’importance des logiques individuelles (je) et collectives (nous) dans une culture, est un critère principal de plusieurs outils élaborés au cours des dernières décennies par les observateurs des phénomènes interculturels pour mesurer la « distance culturelle » entre différents pays. On doit pouvoir appréhender le degré d’autonomie et de solidarité d’un individu par rapport au groupe, son degré d’attachement aux valeurs communautaires, sa capacité et sa volonté de raisonner à partir d’une perspective individuelle. Ces auteurs précisent en outre que les analyses traditionnelles font état des deux groupes suivants : il s’agit d’une part, de « l’orientation individuelle » des populations anglo-saxonnes et européennes du Nord (États-Unis, Australie, Grande-Bretagne, Canada, France…), et d’autre part, de la tendance plus communautaire des pays latino-américains et asiatiques. Selon une étude[1] réalisée auprès de plus de 100.000 employés dans 53 pays entre 1967 et 1969, les valeurs de l’indice d’individualisme se situent, dans l’ordre dégressif, entre 91 et 67 pour le premier groupe, et entre 38 et 6 pour le second groupe. Avec les indices respectifs de 91 et 6, les États-Unis et le Guatemala constituent les deux extrémités du continuum.

Si l’Australie, avec l’indice de 90, est classé juste derrière les États-Unis (91), force est de constater que cet indice n’est pas homogène sur tout ce territoire, et que l’emploi de « je » a si peu de sens et de place qu’un individu peut, dans certaines situations, avoir du mal à s’exprimer en son nom propre sans référence à son groupe d’origine. Selon Fanny Duthil (2006), en essayant de rassembler des histoires de vies de femmes aborigènes en Australie, elle a dû déployer des trésors de patience et de diplomatie pour recueillir une parole personnelle, tout simplement parce que ces femmes refusaient obstinément de recourir au « je » dans les interviews.

Quant à la société vietnamienne, à l’instar des autres sociétés asiatiques, elle est considérée comme une « famille étendue », à orientation collective ou communautaire, par rapport à la société occidentale, à orientation individuelle. À cet égard le vocabulaire vietnamien traduisant des liens de parenté est réexploité dans des relations sociales. À la différence du système français qui comporte des pronoms (je, tu, il, nous, vous, ils), le système vietnamien, quant à lui, est composé principalement de termes d’adresse, et non de pronoms. En considération de la hiérarchie familiale et sociétale, le locuteur vietnamien doit se situer par rapport à son allocutaire pour se désigner de façon pertinente. Ainsi au sein d’une famille vietnamienne, a-t-on affaire à des termes d’adresse représentant le locuteur tels ông (grand-père) et bà (grand-mère) ; bố (père) et mẹ (mère) ; chú (oncle), cô (tante) ; anh (grand frère), chị (grande sœur), etc., face à cháu (neveu ou nièce), à con (enfant) ou à em (petit frère ou petite sœur) représentant l’allocutaire.

Tôi (moi/je), dont le locuteur vietnamien se sert pour se nommer face à son allocutaire, est le seul à neutraliser les connotations hiérarchiques et genrées, intrinsèquement intégrées dans les termes d’adresse ci-dessus, façonnés par la culture hiérarchique confucéenne. Nous aborderons le lien intime entre une évolution sémantique et lexicale progressive, et une mutation culturelle profonde de l’identité de tôi qui, en tant que pronom personnel dégenré et dé-hiérarchisé, témoigne en effet de l’avènement d’une nouvelle vision du moi vietnamien, qu’on peut qualifier de « moderne » par rapport à une vision « traditionnelle ».

Ce premier séminaire permettra également aux étudiants de mieux se préparer à la tenue d’une prochaine journée d’étude, organisée par le Pôle DDS (Discours, Dispositif, Société), programmée le 20        février 2025, dont le thème porte sur « Des relations interpersonnelles en langue et en (analyse du) discours. Pour une approche interculturelle ».

Séance animée par Danh-Than Do-Hurinville

Contact

Margareta Kastberg SJöblom (Pôle Discours - ELLIADD UR 4661) : margareta.kastberg@univ-fcomte.fr 
Danh-Thành Do-Hurinville (Pôle Discours - ELLIADD UR 4661) : danh_thanh.do-hurinville@univ-fcomte.fr