Molière et les acteurs comiques : art et techniques de la création scénique
Colloque
17/11/2022-19/11/2022
Université Rennes 2 : 17-19 novembre 2022
Description
Dans le cadre de l'année 2022 qui célèbre le quatre-centième anniversaire de la naissance de Molière, nous souhaitons revenir sur la caractéristique principale de ce personnage aux yeux de ses contemporains : Molière était d’abord un acteur comique exceptionnel et un chef de troupe avisé, capable de « faire jouer jusques à des fagots[1] ». En élargissant la définition de cette fonction de capo comico, empruntée au théâtre italien de son temps, à celle d’acteur-créateur de spectacle, nous souhaitons envisager la carrière de Molière et des actrices et acteurs qui, comme lui, ont occupé une place centrale dans l’activité de production de spectacles, individuelle ou collective, au sein d’une troupe de théâtre, sur plusieurs années ou constituée temporairement pour un spectacle isolé.
Nous souhaitons en effet ne pas nous en tenir exclusivement aux formules désormais connues et étudiées de « comédien-auteur[2] », entendue comme la reconnaissance de son activité de dramaturge, ou d’«acteur créateur » visant à rendre hommage à la participation active de tout interprète à la création artistique des formes spectaculaires[3]. Nous souhaitons explorer les conséquences artistiques du phénomène par lequel l’acteur, en tant que professionnel maîtrisant une technique particulière de jeu[4], est au centre de la production théâtrale. En étudiant la manière dont les spectacles sont en fait conçus par et pour des actrices et des acteurs, nous souhaitons éclairer une économie de la création comique.
Nous faisons cependant l’hypothèse que ce phénomène est en effet plus lisible avec les comédiennes et comédiens comiques alors même qu’il est vraisemblablement identique, surtout durant la première modernité, pour les interprètes sérieux. Ainsi, plusieurs études ont fait la lumière sur la spécificité des méthodes et des moyens de production du spectacle de la part des acteurs dell’arte. Cette dramaturgie de l’acteur, fondée sur des savoirs partagés de génération en génération, est aussi remarquable pour la façon dont certains ont réussi, tout en demeurant dans le cadre de la tradition collective, à forcer les contours de leur rôle en le rendant mobile jusqu’à le transfigurer, ce qui a assuré à la commedia dell’arte une vitalité de plusieurs siècles[5]. Même lorsqu’au XVIIIe siècle l’auteur vénitien Carlo Goldoni a opéré par son théâtre comique une transition de la dramaturgie de l’acteur à la dramaturgie de l’auteur, cette vitalité n’a pas été effacée mais au contraire elle a été exploitée dans une relation de collaboration étroite entre l’auteur et ses interprètes. La circulation des actrices et acteurs dell’arte en Europe, leur présence institutionnelle en France à l’époque de Molière mais aussi au XVIIIe siècle, amènent à s’interroger sur leur contribution, directe ou indirecte, à la construction de l’acteur comique comme créateur du spectacle. L’organisation du spectacle à partir des comédiennes et comédiens et de leur identité professionnelle et artistique, a fait également l’objet de nombreuses études du côté du clown, homo ludens par excellence, dont le jeu comique repose sur une présence, mais aussi une maîtrise gestuelle, un rythme, une capacité à « organiser le désordre » en amont de la représentation et à entrer en interaction avec le public...
En élargissant enfin la perspective à l’ensemble de la production théâtrale européenne, et de d’autres zones géographiques (Inde, Indonésie, Japon, Chine...), embrassée sur toute sa durée, de l’Antiquité à nos jours, de Roscius à Jacqueline Maillan, en passant par Will Kemp ou I Made Jimat, il s’agit donc de renouveler à l’aide de ces apports une perspective sur l’histoire du théâtre qui est encore souvent, du moins en France, texto-centrée. En effet, celle-ci se raconte peu du point de vue des acteurs : traditionnellement mis au second plan en raison du caractère nécessairement lacunaire des sources, mais aussi de la mise en valeur habituelle des textes (textes des auteurs et des théoriciens), la perspective de l’acteur paraît difficile à modéliser en ce qu’elle semble avant tout relever d’une pratique toute personnelle. Elle peut, en ce qui concerne spécifiquement le comique, être dévalorisée parce qu’il est vu comme la recherche d’une adéquation entre l’offre et la demande du public, ravalée à un simple commerce.
En réintégrant le jeu comique et ce qu’il recèle de savoir-faire dans l’histoire du théâtre, en se souvenant que l’un des enjeux de la sortie au spectacle est d’abord d’aller voir des personnes jouer, et en soutenant que la relation qui s’établit parfois de manière éminemment familière entre l’artiste comique et les spectatrices et spectateurs ne peut à l’heure actuelle être tenue pour négligeable, notre ambition est de nous tenir au plus proche des pratiques réelles. En interrogeant la nature même du texte de théâtre de manière à lui restituer sa part d’improvisation, sa part d’insaisissable, nous espérons ainsi éclairer l’œuvre de Molière par les pratiques de ses contemporains, y compris de ses camarades de jeu, pour qui il a su écrire des rôles sur mesure, mais aussi par celles de ses prédécesseurs et successeurs, compagnons de plateau. Il s’agit idéalement d’éclairer la trace, ce qui nous est parvenu sous forme d’allusions, de remarques éparses, de notations, par la réalité plus tangible des techniques professionnelles contemporaines, anciennes et modernes.
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brigitte.prost2@univ-fcomte.fr